IF- Groupe de travail Ingénieurs Sans Frontières sur le développement


COMMENT BLANCHIR
L'ARGENT SALE ?


Petit guide méthodologique
pour brigands modernes et citoyens naïfs

1ère édition, juillet 2003

 

AVERTISSEMENT

Attention ! Après cette lecture, vous risquez de ne plus regarder les pizzerias et lavomatics de /a même manière. C'est peut-être avec scepticisme que vous observerez les devantures des grandes banques françaises, Les chocolats suisses, les frites luxembourgeoises et l'aquarium de Monaco perdront sans doute également de leur folklore

Voici en effet un tour d'horizon des techniques de blanchiment d'argent, du petit casino véreux ou grand paradis fiscal touristique. Vous constaterez le bouillonnement imaginatif des brigands souvent en cols blancs - et surtout à quel point le système financier international favorise intrinsèquement /a criminalité par son opacité et sa dérégulation.

Les activités criminelles ont en effet été intensifiées par l'ouverture des marchés, le déclin des Etats, les privatisations, le libre mouvement des capitaux, /a dérégulation du commerce international L'émergence des paradis fiscaux n'est pas un hasard. Des pans entiers de l'économie 'légale" sont soutenus par des fonds d'origine criminelle. La majorité des techniques de blanchiment seraient impossibles sans complicité des institutions financières locales ou internationales.

Parallèlement les risques de poursuite sont faibles du fait de /a complexité de /a coopération policière et judiciaire au-delà des frontières. Une fois de plus, les brigands ont plusieurs coups d'avance.

Notons enfin que toutes les acrobaties financières sont ultra-complexes, surtout pour des néophytes. Cette synthèse, si elle manque de précision, doit être perçue comme une première sensibilisation à cette « autre-dimension » qu'est /a finance internationale.

Fructueuse lecture!

Nous sommes friands de compléments et de critiques. Aidez-nous ! si vous jugez que notre exposé contient des erreurs, présentez-nous votre argumentation, ainsi nous progresserons ensemble vers une juste vision de la réalité.

Vous pouvez prendre contact avec nous sur avecnous@no-Iog.org

Ou retrouver nos textes sur le site http://perso.wowdoo.fr/vamos

I - La criminalité : de gigantesques volumes financiers

Il est évidemment très difficile d'évaluer les profits générés par les activités criminelles. Voici cependant quelques estimations pour les années 90


Drogue1
Prostitution
Trafic de médicaments
Contrefaçons commerciales
Migrations clandestines
Trafics de femmes
Trafic de déchets polluants
Milliards
300-500 /an
60 /an
12 /an
150-500 /an
7 /an
4 /an
12 /an
Source
PNUCID
Europol
OMS
MINEFI
Le Monde
Le Monde
Le Monde

Globalement, le chiffre d'affaires mondial de la criminalité est estimé à 1000 milliards de dollars par an environ2. Certains n'hésitent pas à doubler ce chiffre, Qui sait où se situe la réalité ? Retenons simplement que les volumes financiers d'origine criminelle sont très importants, Il fout ajouter à ces chiffres la fraude et l'évasion fiscale, difficilement estimables. selon le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales de France, la fraude fiscale française avoisine les 30 milliards d'euros annuels (années 90), auxquels s'ajoute moins d'un milliard d'euros lié à la fuite des patrimoines à l'étranger. Ceci permet d'imaginer l'ampleur mondiale des fraudes fiscales Bien sûr, nous devrions également parler des bénéfices liés aux ventes d'armes, à la corruption, aux commissions, etc. Mais où tracer la frontière de Ici criminalité ? Dans le cadre de cet exposé, nous nous focaliserons exclusivement sur le recyclage des bénéfices de la criminalité "classique".

II - Problématique du blanchiment

La criminalité génère d'importants profits, essentiellement sous forme d'argent liquide3. Sacré problème pour un brigand : comment utiliser ou placer cet argent liquide à la banque sans éveiller les soupçons ?

Lorsque les sommes sont faibles, le recyclage est aisé. Un étudiant qui revend 150 euros de drogues par semaine pourra facilement dépenser cet argent liquide sans déclencher la suspicion. Mais pour un brigand de plus grande envergure, le problème devient délicat. Prenons l'exemple d'un proxénète. Imaginons que celui-ci contrôle trois prostituées. Selon Interpol, le chiffre d'affaires d'une prostituée est estimé entre 80 000 et 110 000 Par an. Notre proxénète récolte près de 3000 de billets par semaine, en coupures de 10 à 50 . S'il commence à régulièrement déposer des liasses de billets au guichet de sa banque, une enquête peut être lancée. La possession de cette somme en argent liquide est donc un problème. Imaginez alors le casse-tête pour une bande organisée contrôlant plusieurs centaines de prostituées4. A l'échelle d'une mafia, ce sont des montagnes de billets chaque semaine ! Mais que faire de ces montagnes de billets ? Les désirs des leaders criminels à la tête de ces réseaux ne sont pas de nager dans des piscines de dollars. Leurs envies sont à la hauteur de leur inhumanité : voitures de luxe, villas, yachts qui ne s'achètent pas en coupures de 10 à 20 . Et qui risquent d'éveiller les soupçons !

Pas de panique. Les méthodes de blanchiment sont multiples, efficaces et adoptées selon les besoins.

Grâce à ces méthodes, les criminels pourront recueillir le beurre, l'argent du beurre et la crémière...

Le beurre : son argent sera placé sur un compte d'une banque prestigieuse. L'argent du beurre : il pourra justifier de l'origine de ses fonds.

La crémière : cet argent sale sera finalement investi dans l'économie légale et pourra être source de profits légaux !

III - Principes du blanchiment

Comment utiliser l'argent de la criminalité sans éveiller la méfiance des autorités? Comment dissimuler son origine ?

Les théoriciens distinguent habituellement trois phases dans le blanchiment d'argent

- Le placement (encore appelée prélavage ou immersion) : le but est de placer l'argent liquide sur un compte bancaire, en masquant son origine illégale. C'est la phase la plus vulnérable pour le criminel.

- L'empilage (dispersion/brassage) : il s'agit de brouiller les pistes par des transactions financières complexes afin de masquer l'origine des fonds ou en légitimer la possession.

- L'intégration (recyclage/essorage) : l'argent étant blanchi et son origine masquée, la valse des investissements dans l'économie légale peut commencer.

Nous allons à présent rentrer dans le vif du sujet en vous présentant, concrètement, quelques techniques de blanchiment. Cette liste n'est pas exhaustive ! Beaucoup d'autres existent, inventées en permanence.

Nous exposerons d'une part quelques techniques de placement, puis des techniques d'empilage, sachant que parfois ces phases sont entremêlées.

IV - Les techniques de placement



Imaginons que je sois un criminel dont les revenus avoisinent les 7500 d'argent liquide par mois, Que puis-je faire ?

IV. 1 Injecter cet argent liquide dans le chiffre d'affaires d'un commerce complice ou dont je suis le propriétaire

Sont concernés les pizzerias, lavomatics5, marchands de journaux, boulangeries, bijouteries, casinos, hôtels, etc... Bref, tous les commerces où :

- les clients payent généralement en liquide.

- il est facile de falsifier le nombre réel de clients.

Cette technique consiste à mélanger tout simplement les billets au reste de la caisse, puis de tricher sur la justification du chiffre d'affaires. Comment vérifier que le nombre de couverts déclarés par une pizzeria est falsifié ? A moins de contrôler chaque jour le restaurant, c'est quasiment impossible. Évidemment, si une rue entière est pleine de pizzerias accolées les unes aux autres, cela devient vite suspect. Mais ce type de configuration ne se rencontre jamais6...

Si une bande organisée contrôle une série de magasins, l'intégration des sommes liquides d'origine criminelle dans les revenus du commerçant s'appelle « /a technique du millefeuille ». Elle est très largement utilisée. Les commerçants reversent l'argent blanchi à la mafia, après commission. Cependant, cette technique reste limitée: on ne peut pas raisonnablement déclarer 50 millions d'euros de chiffre d'affaires dans une pizzeria. Le plus sympathique pour une mafia sera le contrôle d'une chaîne d'hôtels ou de restaurants.

IV. 2 Déclarer de faux gains aux Jeux

Plusieurs variantes sont possibles.

- Acheter des plaques de jeux au casino avec de l'argent liquide. Puis, quelques heures plus tard, les convertir en argent versé par le Casino. A la question « Comment avez-vous gagné cet argent » la réponse sera « Je l'ai gagné au Casino. La preuve, voici un bon de versement ».

- Si le propriétaire du casino ou d'une salle de jeux est complice, se débrouiller pour perdre votre argent liquide au jeu. Le propriétaire vous le reversera après commission. L'idéal est évidemment d'être criminel et propriétaire de casino.

- Proposer à un gagnant du gros lot à la loterie de lui racheter son billet pour une valeur plus élevée. A la question « Comment avez-vous gagné cet argent ?» la réponse sera « J'ai gagné à la loterie. La preuve, voici mon billet ». Cette technique reste anecdotique...

IV. 3 Acheter des oeuvres d'art aux enchères

Cette méthode nécessite un trafiquant complice mettent des oeuvres d'art aux enchères. Vous les achetez en liquide (en règle générale, on paye en liquide dans ce type d'enchères). Le commissaire priseur remet alors l'argent au vendeur. Après la vente, il suffit d'échanger l'argent contre les oeuvres d'art, après commission pour le complice. A la question « comment avez-vous gagné cet argent ?» la réponse sera « J'ai vendu des oeuvres d'art. La preuve, voici la certification du commissaire priseur ».

IV.4 Acheter des objets de luxe

Voitures, objets d'art, bijoux, parfums, antiquités de nombreux objets peuvent être payés en liquide. Cela vous permet d'une part de les revendre à une boutique complice, d'autre part d'accéder à un certain train de vie.

Un dérivé de cette méthode est nommée « fourmi japonaise »: au Japon, un trafiquant remet à plusieurs complices des sommes en liquide de 3000 à 4500 (origine criminelle) et des billets d'avion pour Paris. A Paris, les "touristes" achètent avec cet argent des produits de luxe (parfums, sacs, bijoux) puis retournent au Japon pour livrer leurs achats et percevoir une commission. Les objets vendus sont alors commercialisés comme "articles de Paris" dans des boutiques de luxe japonaises appartenant au trafiquant :

IV.5 Utiliser la technique "Hawala"

Il vous faut pour cela appartenir à une communauté très soudée (ethnie, bande organisée, confrérie), puisqu'il s'agit d'opérations commerciales informelles où Ici confiance joue un rôle fondamental. Toute transaction est alors possible : échange l'argent liquide contre des armes, contre un virement bancaire, contre une villa, etc. En cas d'enquête, il suffit de justifier ces transactions par des héritages ou dons de membres de la communauté. C'est grosso modo une extension de ce que nous faisons lorsque nous prêtons, donnons ou achetons des objets ou de l'argent au sein de nos familles ou parmi nos amis.

IV.6 Fractionner les dépôts à la banque

Il suffit de déposer, par petites sommes, les gains sur votre compte ou sur des comptes complices. Le seuil légal de déclaration en France, c'est-à-dire de lancement d'une petite enquête sur l'origine de vos fonds, s'élève à 7600 environ. Cependant, un banquier peut donner l'alerte pour moins que cela s'il juge les dépôts suspects. Evidemment, cette technique nécessite de la patience et reste limitée au blanchiment de petites sommes (sauf si vous avez des complices à la banque qui omettront de déclarer un dépassement du seuil d'alerte. La corruption des guichetiers a souvent été mise en cause dans des affaires de blanchiment).

IV.7 Louer du luxe

Il semble possible, notamment en France, de s'offrir un train de vie luxueux (villas, voitures, yacht, call-girls, etc.) en louant ces services par argent liquide. Les compagnies de locations sont rares (voire sulfureuses), mais elles existent. Ceci semble cependant anecdotique.

IV.8 Rédiger des fausses factures

Cette technique suppose l'existence de deux sociétés complices pouvant prétendre à des rapports commerciaux.

- Une société contrôlée par une groupe criminel, nommée C.

- Une autre société N, non mafieuse, ayant besoin d'argent liquide (par exemple pour nourrir la "caisse notre" de l'entreprise ou subvenir aux dépenses personnelles de ses dirigeants)

. Phase 1 : la société C dresse une facture à la société N (pour échanges de services, travaux, peu importe). Évidemment, ces travaux ne seront jamais réalisés ou seront simulés. C'est une fausse facture.

. Phase 2 : la société N paye officiellement par chèque,

. Phase 3 : la société C rembourse incognito la société N en argent liquide.

A la question « Comment avez-vous gagné cet argent ?» la réponse sera « J'ai effectué un travail pour la société N voici son chèque et la facture ».

A noter que cette technique marche aussi en surfacturant de réelles factures.

IV.9 Transporter l'argent à l'étranger

Après passage au bureau de change pour convertir l'argent liquide en devises (de préférence en grosses coupures pour faciliter le transport merci les billets de 500 !) vous envoyez l'argent liquide vers des pays moins rigoureux sur le blanchiment, par exemple la Russie.

IV. 10 Utiliser les services d'une société d'assurance

Certains produits d'assurance peuvent être acquis en espèce, comme les bons de capitalisation, remboursables partout dans le monde. Idem pour les contrats d'assurance vie. Vous payez en liquide, puis dénoncez le contrat le mois suivant. La compagnie d'assurance vous rembourse alors par chèque, et le tour est joué. Il ne vous restera plus qu'à aller déposer fièrement ce chèque émanant d'une compagnie d'assurance à la banque.

Evidemment, si vous disposez de complicités au sein de la société d'assurance, cela devient un jeu d'enfant. A noter que l'identification du bénéficiaire d'une assurance vie n'est pas toujours faite, et que les vérifications du paiement par chèque de grosses sommes sont faibles, Parfois, le bénéficiaire du contrat est inconnu : c'est une clause testamentaire déposée chez un notaire -- donc soumise à secret professionnel -- qui contient son identité.

IV. 11 déposer votre argent sur un compte anonyme

Certains pays (hors paradis fiscaux) proposent des comptes bancaires anonymes. C'est le cas de l'Autriche qui, pour environ 8 millions d'habitants, possède 25 millions de comptes anonymes Il est possible de déposer des sommes sans avoir de compte à rendre sur votre identité.

IV. 12 Tout simplement déposer votre argent dans un paradis fiscal

Toutes les techniques exposées précédemment sont plus ou moins limitées. Elles concernent à priori les criminels dont les profits sont relativement faibles ou dispersés. Le placement par paradis fiscal nécessite une organisation plus poussée (il faut se rendre sur place, connaître des banques, des avocats, etc.) mais permet de placer en toute impunité des flux financiers gigantesques. C'est le grand dada des bandes puissamment organisées. Mais aussi des politiciens, hommes d'affaires, célébrités, services secrets, sectes, confréries...

Lors de cet exposé, nous ne rentrerons pas en détail dans l'analyse des paradis fiscaux. Nous vous recommandons vivement les rapports de la mission parlementaire française menée par les députés Vincent Peillon et Arnaud Montebourg à ce sujet. Ils ont étudié et audité récemment la Suisse, Monaco, le Liechtenstein, Gibraltar et le Luxembourg. Les résultats sont ahurissants. Vous pouvez consulter ou télécharger ces rapports (très pédagogiques) sur Internet :

http://www.assemblee-nationale.fr/2/rap-info/i2311-2.htm

http://www.strategic-road.com/dossiers/paradis.htm#mission

Quelques considérations s'imposent cependant.

Nous recensons une cinquantaine de paradis fiscaux dans le monde :

. 14 sont des îles ou des archipels des Caraïbes : Anguilla, Antigua et Barbuda, Antilles néerlandaises, Aruba, Bahamas, Barbade, Bermudes, Iles Cayman, Montserrat, St Kitts et Nevis, Ste Lucie, St Vincent, Iles Turks et Caicos, Iles Vierges britanniques;

. 3 sont en Amérique centrale : Belize, Costa Rica, Panama;

. 12 sont en Europe et en Méditerranée : Andorre, Chypre, Gibraltar, Guernesey, Jersey, Liechtenstein, Luxembourg, Madère, Moite, Île de Man, Monaco, Suisse;

. 10 sont dans la zone Asie/Pacifique : Hongkong, Labuan, Macao, Iles Mariannes, Iles Marschall, Nauru, Niue, Samoa occidentales, Singapour, Vanuatu;

. 3 sont au Moyen-Orient : Bahreïn, Doubaï, Liban;

. 2 sont dans l'Océan Indien : Iles Maurice, Iles Seychelles;

. Enfin, 6 États autorisent l'offre de services offshore à partir de certains points de leur territoire États-Unis, Irlande, Maroc, Royaume-Uni, Taiwan, Thaïlande.

Quelles sont les principales caractéristiques d'un paradis fiscal ? Un taux d'imposition réduit ou nul et un secret bancaire dont la violation peut relever du droit pénal. Il est par conséquent extrêmement difficile de connaître l'identité des personnes y déposant des fonds.

Quelles sont les sommes déposées dans les paradis fiscaux ? Dans les différents rapports consultés, elles sont estimées entre 6000 et 8000 milliards de dollars. C'est peut-être plus, peut-être moins, qui sait ? Les Îles Caïmans totaliseraient à elles seules 500 milliards de dollars dans ses 600 banques, représentant ainsi la 5ème place financière mondiale (selon Alternatives Économiques). Environ 55% des flux financiers transiteraient par les paradis fiscaux. Bref, c'est dire leur importance dans la finance internationale, A un tel niveau, ce n'est pas un système à la marge : c'est un des rouages du monde économique.

La majorité des grandes banques européennes et américaines ont des succursales dans l'ensemble des paradis fiscaux, et plus spécialement aux Bahamas et aux îles Caïmans. Pourquoi donc ?

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Leur existence est parfaitement légale ou regard de la législation internationale. Il ne s'agit pas de territoire "rebelles" ou "pirates" se développant à l'insu des États "légaux". Les paradis fiscaux existent et se sont développés grâce au soutien actif des pays occidentaux, USA et Europe en première ligne. Suffisamment d'acteurs dominants ont intérêt à l'existence de ces "boîtes noires" au sein de l'économie mondiale. Elles cachent à merveille les points de passage et d'arrivée des capitaux, permettant évasion fiscale, corruption, détournements, financements occultes et blanchiment de capitaux. Les paradis fiscaux, sous leur forme actuelle, sont relativement récents. Leur existence va de pair avec le phénomène de mondialisation des échanges et de montée du libéralisme,

L'appellation "paradis fiscal" est avantageuse. La connotation "paradis" est en effet sympathique. Nous préférerions les appeler "enfers citoyens", vu leur impact dans l'économie mondiale. Bien que selon la chanson, "nous irons tous au paradis" c'est un peu fort de nommer "paradis" un repère de brigands.

Quels sont les arguments pour le maintien des paradis fiscaux ? En règle général, tout le monde est contre sauf la majeure partie des classes dirigeantes et des acteurs dominants de l'économie qui tiennent à développer ces zones de fiscalité privilégiée et de secret bancaire. Ou qui, tout simplement, préfèrent ne pas se lancer dans la bataille. Quel mouvement social sera capable de faire vaciller ce schéma honteux ? Nombre d'entreprises, de dirigeants d'entreprises, de personnalités politiques, de célébrités du sport et du spectacle résident dans des paradis fiscaux où usent de leurs services.

Grosse comme une poutre dans un oeil, l'existence des paradis fiscaux est une preuve pour les citoyens de la nullité de notre soi-disant démocratie. Soyons cependant indulgents : il n'est pas facile d'observer la réalité avec une poutre dans un oeil... « le temps passe, la cécité demeure ».

Votre argent est désormais placé dans un réseau bancaire. Grâce aux techniques de placement présentées précédemment, vous pouvez en effet déposer de l'argent à la banque en justifiant son origine sans trop éveiller de soupçons. Il vous faut désormais créer un flou artistique pour définitivement brouiller les pistes. Ce sont les techniques d'empilage

V - Les techniques d'empilage

Payer avec un chéquier émanant d'une banque d'un paradis fiscal, ce n'est pas forcément le plus judicieux pour ne pas attirer sur vous une certaine suspicion Le grand but de l'empilage va consister à rapatrier l'argent sale sur un compte "propre" d'une grande banque réputée, en légitimant au maximum son origine.

Voici un certain nombre de techniques d'empilage possibles. Celles-ci peuvent s'entremêler, s'additionner ou se compléter entre elles. Il y a en sûrement beaucoup d'autres...

V. 1 La valse des transferts

Il s'agit de transférer l'argent de comptes en comptes, entre des banques de plus en plus renommées. Chaque établissement financier se couvre par la respectabilité de plus en plus forte de la banque précédente7. Ainsi, à partir d'un compte sur un paradis fiscal, l'argent va être viré sur un compte d'une petite banque allemande peu regardante, puis sur un compte à Monaco, puis en Suisse, puis en Autriche. Difficile pour un juge de remonter la filière en sens inverse, puisque ces sommes transitent plusieurs fois par des paradis fiscaux. Une fois l'argent déposé sur un compte d'une banque suffisamment renommée, il est utilisable sans éveiller trop de soupçons. De plus, il sera très difficile de faire le lien entre le dépositaire final du compte et l'origine des fonds.

V.2 Les marchés financiers et les transactions

Volontairement, nous ne rentrerons pas en détail dans le fonctionnement complexe des marchés financiers et des transactions (Monep, Matif, Warrants, options, puts and calls, swaps, etc.) . Retenons simplement que les possibilités de blanchiment sont très fortes, décuplées par les complicités des gérants financiers. Le grand jeu va par exemple consister à attribuer les achats et les ventes de titres financiers à des comptes différents. Un compte d'argent sale provenant des îles Caïmans sert à acheter des actions, puis à la revente l'argent est viré sur un compte en France. Les conseillers financiers complices n'ont plus qu'à bidouiller les opérations, dans le plus parfait secret professionnel (voir partie Vl). En multipliant les intermédiaires et les mécanismes de transactions, il est très facile pour un financier de brouiller les pistes. Si des enquêteurs essayent de démêler l'ensemble des opérations, il leur faudra de nombreux mois. Ce qui laisse le temps de rapatrier l'argent en lieu sûr.

V.3 L'aller-retour sur marché financier

Attention, cette technique est encore plus subtile que la précédente. Il vous faut pour cela un gérant de portefeuille d'actions (ou autres produits échangeables sur les marchés financiers) possédant deux clients :

- Un client ayant un compte dans une banque "propre". Nous l'appellerons Jacques.

- Un client ayant un compte dans un paradis fiscal. Nous l'appellerons Roland.

Le but va être de transférer l'argent sale de Roland vers le compte de Jacques.

Un virement direct est impossible la banque de Jacques ne saurait accepter un transfert venant d'une banque des îles Caïmans, cela nuirait à se réputation. Elle pourrait même lancer une enquête.

Le gérant de portefeuille va donc procéder de la manière suivante :

Phase 1 : il achète 1000 actions X à 50 000 $ et les revend aussitôt au même prix.

Phase 2 : quelques instants plus tard, le prix des actions X ayant diminué, il achète 1000 actions X à 49 950 $ et les revend aussitôt au même prix,.

Phase 3 : apparemment, le gérant n'a ni gagné ni perdu d'argent. Pourtant, il va bidouiller sur les dates et les affectations de ces opérations de la manière suivante :

il attribue l'achat des 1000 actions à 49 950 $ et la vente des 1000 actions à 50 000 au client Jacques. Celui-ci a donc un gain de 50 000 $.

il attribue l'achat des 1000 actions à 50 000 $ et la vente des 1000 actions à 49 950 au client Roland. Celui-ci G donc une perte de 50 000 $.

Le tour est joué. Il s'agit en fait d'un transfert masqué par le gérant de portefeuilles. Vu le volume journalier des échanges sur les marchés financiers, ce type d'opération passe inaperçu. Le jeu des vases communiquant réalisé par le gérant permettra à Jacques de recevoir son paiement de la chambre de compensation des marchés financiers. Officiellement, il a gagné de l'argent en spéculant.

Refaites mentalement le même exercice avec un prix des actions X qui augmente, Vous verrez alors qu'une manipulation de transfert est également possible, A tous les coups on gagne !

V.4 Services sur Internet

Internet est un outil fantastique pour les blanchisseurs. Les casinos, jeux et services en ligne décuplent les possibilités. Le principe est globalement le même que pour un blanchiment par "pizzeria". Mais cette fois-ci, l'argent liquide est remplacé par des transactions bancaires.

Prenons un exemple :

- Le blanchisseur crée en toute légalité un service sur Internet, par exemple un casino en ligne. Il ouvre un compte en France pour cette nouvelle société qu'il vient de créer.

- Ses complices placent l'argent sale par fractionnement dans différentes banques n'importe où sur la planète, sous fausse identité de préférence. Puis ils jouent au casino par virement bancaire, et, comme par hasard, perdent tout leur argent.

- Le blanchisseur peut être satisfait. A la question « Comment avez-vous gagné cet argent ?» il répondra « Grâce au service que j'ai crée sur Internet ».

A noter de plus que le blanchisseur peut décupler ses bénéfices grâce aux autres clients lambdas très heureux de jouer au casino via le Net. S'il est malin, il pourra aussi créer un service pornographique payant qui rencontrera encore plus de succès.

Les enquêteurs auront beaucoup de mal à remonter jusqu'aux sources de différents utilisateurs et donc de faire le lien entre le blanchisseur et ses complices. De plus, la législation internationale est encore très faible dans ce domaine. Pensez-y en surfant !

V.5 Clearstream, la boîte noire parfaite

En 2001, le livre Révélation$ crée une petite tempête dans le microcosme bancaire international. Il s'agit d'une enquête menée par Denis Robert sur un organisme financier totalement inconnu du grand public : les chambres de compensation internationales (nommées aussi "sociétés de clearing").

Qu'est-ce qu'une chambre de compensation internationale ?

Il n'existe sur la planète que deux chambres de compensation internationales : Euroclear et Clearstream, basées respectivement à Bruxelles et au Luxembourg. Notons que 60% des actionnaires de Clearstream sont également actionnaires d'Euroclear. Un tiers de leurs administrateurs sont identiques. Ces deux organismes sont donc très liés.

Leur but est de faciliter les échanges interbancaires. Par exemple, si un client d'une banque hindoue souhaite effectuer un virement vers la banque d'un ami français, la procédure est complexe. La banque hindoue va prendre contact avec la banque française, un échange d'attestations et de documents va avoir lieu. Cela va prendre du temps, deux à trois semaines environ. Grâce aux chambres de compensation, cette opération est quasi-instantanée. Il suffit pour cela que les deux banques ouvrent chacune un compte à Clearstream (par exemple). Par ordre électronique, les virements entre les deux banques seront instantanés. Les sociétés de Clearing sont donc en quelque sorte "la banque des banques". A la fin de la journée, la chambre de compensation fait les comptes de chaque transfert et ajuste les comptes de chacun. Charge aux banques par la suite de rapatrier leurs avoirs par des virements électroniques. Les opérations de chaque banque sont conservées sur des microfiches.

Environ 3500 banques (sur les 7000 institutions financières de la planète) possèdent un compte dans ces chambres de compensation. Les transactions cheminant par Euroclear et Clearstream s'élèveraient à 180 milliards de dollars par jour, soit environ 50 000 milliards de dollars par an. C'est absolument gigantesque. Clearstream gère officiellement environ 8 000 comptes provenant de 105 pays, dont 41 paradis fiscaux. Elle emploie 2300 salariés et gère environ 153 millions de transactions par an. A noter que Clearstream et Euroclear ne sont soumises à aucun contrôle financier extérieur.

Via notamment des anciens salariés de Clearstream, Denis Robert a mis en évidence l'existence d'environ 8000 comptes non publiés au sein de Clearstream, c'est à dire l'existence de transactions secrètes. Potentiellement, ces chambres de compensation peuvent être les plus grandes machines à blanchiment du monde. Certains parlent de 500 milliards de dollars blanchis par année ! De grandes banques françaises sont concernées.

« Le système plantait, il fallait réparer. C'est comme ça que nous avons mis le nez où il ne fallait pas. Nous avons découvert que des comptes, non seulement ne figurent pas dans la liste des comptes publiés, mais étaient code différemment des autres comptes. Ils avaient un statut particulier, Ils n'entraient pas dans la comptabilité générale de Cedel (devenu Clearstream) Les bénéfices générés par ces comptes étaient virés ailleurs. »Régis Hampel, ancien informaticien à Cedel

Les deux ouvrages de Denis Robert, Révélation$ et La boîte noire ont entraîné de véritables secousses dons le réseau bancaire international. Avant même l'ouverture d'une enquête par la justice, la direction de Clearstream a par exemple été renouvelée après la sortie de l'ouvrage. Procès en diffamations et enquêtes se succèdent. Les tentatives d'étouffement de l'affaire sont importantes. Les enquêtes sont hallucinantes.

« Si ce que vous écrivez est vrai, c'est la remise en cause de tout le système financier. Cela va tanguer, mais nous tiendrons bon. »

Vincent Peillon.

« Mais, monsieur, ce que vous dénoncez, nous le savons déjà. Que les banques trichent sur leur bilan et leurs bénéfices est une évidence ! Que voulez- vous que nous y fassions ? Nous négocions, jusque ce que la prochaine se fasse prendre »

JJ. Wiseur, ancien Ministre de l'Economie et des Finances de Belgique.

Peu médiatisées, les conclusions de l'enquête de Denis Robert sont gravissimes. Selon lui, la loi du silence fonctionne chez certains banquiers comme chez les mafieux. La criminalité financière n'est pas marginale. Elle est intégrée au système. Les paradis fiscaux sont au coeur de la finance, et non à la marge de celle-ci. Clearstream et Euroclear joueraient le rôle de boîtes noires cachant à merveille les points de passage et d'arrivée des capitaux sales. La liste des comptes d'une société de Clearing est de fait une formidable photographie de la planète financière. Il suffirait de voir tous les transferts effectués dans ces chambres de compensation pour comprendre l'économie planétaire. Or le secret bancaire s'y oppose. Pourtant, comme dans les paradis fiscaux, aucune trace de la circulation des capitaux, licites ou non, ne s'égare. Il est en effet essentiel de conserver Ici preuve des transferts ou des changements de propriétaires (en cas de litige, il faut pouvoir retrouver la trace des virements).

Vous pouvez trouver de plus amples informations sur cette enquête sur :

http://www.arenes.fr/livres/fiche-livre.php?numero_livre=25

V.6 Les transferts anonymes

Les virements bancaires internationaux sont globalement gérés par deux organismes SWIFT et CHIPS.

SWIFT est un système qui chapeaute près de 3 800 banques dans 94 pays et assure environ 1,6 millions transferts de fonds et crédits documentaires par jour. Grâce à ce réseau n'importe quelle somme d'argent peut faire le tour du monde en quelques heures. Il est directement lié aux chambres de compensation internationales (voir V.5).

CHIPS est un système principalement utilisé aux USA. Normalement, tout ordre de virement doit porter l'identité du porteur d'ordre. Or TRACFIN (voir VII) a mis en évidence des ordres de transferts de fonds via SWIFT où l'identité du donneur d'ordre était inexistante. Voici donc une belle technique d'empilage permettant d'empêcher toute enquête...

V.7 Les holdings. trusts et fiducies

Ces trois structures juridiques et financières sont très prisées par les blanchisseurs.

Un Holding est une société dont l'activité consiste à prendre des participations dans d'autres sociétés, ou éventuellement à gérer des biens sans avoir d'activité commerciale. La définition du holding -- et les avantages fiscaux dont il peut bénéficier -- varient d'un pays à l'autre. La plupart du temps, une société holding mère fictive recueille les revenus (dividendes, intérêts de prêts, royalties, redevances de licences, de brevets, etc ... ) versés par les filiales pour le compte de la véritable société mère et en coordonne la politique de redistribution. Les fonds pourront être distribués à la société mère, ou réinvestis, ou parfois prêtés aux filiales. Le holding permet de localiser les bénéfices du groupe dans le pays qu'il choisit. La souplesse de son régime lui permet d'être facilement dissout par sa société mère et transférée d'un État à un autre en fonction des conditions fiscales. De nombreux holdings se sont ainsi établis en Suisse, au Luxembourg, ou aux Pays-Bas, Les holdings sont aussi souvent utilisés pour dissimuler l'identité de la ou des personnes physiques ou morales qui sont les véritables propriétaires des capitaux qu'ils manient. On peut citer comme exemple la société holding Renault Finances, établie à Lausanne en Suisse, le holding Unilac de Nestlé qui se trouve dans les Caraïbes. Implantée dans un paradis fiscal, un holding pourra facilement mélanger les produits d'activités criminelles aux bénéfices de sociétés légales. Le secret bancaire protège ses opérations. Le statut de holding offre une couverture confortable, d'autant plus si l'holding contrôle des sociétés agissant en parfaite légalité.

Une société "Offshore" est une société autorisée à mener des activités uniquement en dehors du pays où elle a été constituée. Située dans un paradis fiscal, elle est soumise au secret bancaire et industriel. Si elle présente des activités économiques légales, elle sera un outil idéal pour dissimuler un mélange d'argent sale avec des bénéfices légaux.

Trusts et fiducies sont des moyens légaux visant à protéger des biens de façon à pouvoir les utiliser au bénéfice de certaines personnes ou de certaines fins. Il s'agit par exemple de consolider ou d'administrer la répartition d'héritages, d'aider à la gestion financière de sociétés, de créer des fonds communs de placement, de gérer des fonds pour des oeuvres caritatives, de parrainer des manifestations ou institutions culturelles.

La relation juridique est la suivante : une personne (le fiduciant/settlor) place le contrôle de certains de ses biens sous la responsabilité d'une autre personne (le fiduciaire/trustee)) au bénéfice d'une ou plusieurs personnes (les bénéficiaires/beneficiaries) à des fins spécifiées.

- Le fiduciaire devient juridiquement propriétaire des biens de la fiducie, mais ceux-ci ne constituent pas une partie de sa fortune puisqu'il doit l'utiliser à des fins spécifiées.

- Les bénéficiaires ont droit de jouissance sur les revenus et biens de la fiducie/trust.

Si la fiducie est clairement définie et rendue publique, le blanchiment est impossible. Mais dans certains cas, les bénéficiaires ne sont pas désignés par leur nom mais par une "catégorie générale". De plus, des règles de confidentialité peuvent être incorporées afin de masquer l'identité du propriétaire ou bénéficiaire réel des biens de la fiducie.

La fiducie peut donc devenir un outil d'empilage efficace. Si le fiduciaire est complice, il effectuera un transfert de l'argent blanchi par le fiduciant provenant de comptes sur paradis fiscaux vers des comptes de banque prestigieuse appartenant au bénéficiaire. Les questions de l'enquêteur se briseront sur le secret professionnel !...

V-8 Le faux procès

Cette méthode nécessite le contrôle par la mafia de deux entreprises susceptibles de travailler ensemble :

-- une entreprise A dont le siège réside dans la région blanchir (exemple : Colombie, Caraïbes, Singapour, etc.)

-- une autre nommée B dont le siège se trouve dans un pays occidental.

Il faut ensuite une bonne dose de patience, car la justice est lente. La société A va réaliser des travaux ou des services (fictifs ou non) pour le compte de la société B pour un montant assez élevé. La société B va volontairement refuser de régler la facture. La société A saisit la justice. La société B est condamnée à verser cette somme. A son insu, la justice joue le rôle de machine à laver.

A noter toutefois que les mécanismes de blanchiment par fausses factures ou par surfacturation entre deux entreprises sont également possibles et plus simples.

V.9 Le blanchiment à domicile

Cette technique requiert une banque complaisante acceptant de jouer l'intermédiaire entre

- Le blanchisseur.

- Un client de cette banque recherchant à se procurer une somme importante en argent liquide.

Le blanchisseur prépare une valise de billets. Le client vient la récupérer et ordonne dans le même temps un virement de son compte vers celui du blanchisseur. Le risque retombe donc sur le client (mais s'il a pris ce risque, c'est sans doute qu'il ne craint rien). Si la banque acceptant de jouer le jeu est réputée, il s'agit ici d'une technique permettant d'effectuer à la fois la phase de placement et d'empilement.

V.10 La couverture idéale

Avec une image vertueuse, il est théoriquement possible de tout faire sans éveiller de soupçons. Si un chanteur, une association caritative (Arc, Téléthon, etc.) ou la banque d'une institution réputée (Fondation, Vatican, etc.) décide d'aider un blanchiment d'argent en percevant des commissions au passage pour se financer, rien de plus facile. Exemples : surfacturer des concerts pour le chanteur, surévaluer le montant des dons privés pour une association ou une institution, etc. De nombreux scandales ont déjà éclaté à ce sujet. A vous par exemple d'effectuer des recherches sur la BCCI (Bank of Credit and Commerce International) ou encore la banque Ambrosiano...

Quand à certains hommes politiques, leur marge d'action est encore plus large, mais ceci est un autre débat (que /a justice entame parfois). A vous d'effectuer des recherches sur l'affaire des offices HLM, de la MNEF, l'affaire Urba, etc. A notre niveau, comment juger la vérité de toutes ces affaires ? Nous constatons simplement les nombreuses possibilités de blanchiment que permettent des complicités politiques.

V.11 Le prêt adossé

La somme à blanchir est déposée dans un paradis fiscal. Un contrat de prêt est effectué entre une grande banque européenne, le blanchisseur, la banque du paradis fiscal. Ce contrat est le suivant :

la banque européenne effectue un prêt important ou blanchisseur.

Si le blanchisseur ne rembourse pas ce prêt, c'est la banque du paradis fiscal qui remboursera la somme prêtée par la banque européenne (c'est la garantie au contrat de prêt).

Le blanchisseur dispose donc d'une somme importante émanant d'un prêt d'une grande banque prestigieuse. Son argent est plus blanc que neige. Il n'éveillera pas les soupçons. La garantie au contrat de prêt, elle, est invisible pour un oeil extérieur.

A noter que si le blanchisseur est malin, il pourra, en investissant son prêt, gagner légalement de quoi rembourser son prêt (ce qui est tout à fait possible en spéculant sur de l'immobilier en bourse, etc.). Il pourra ainsi renouveler plusieurs fois son opération de blanchiment, grâce à la garantie au contrat de prêt de son argent sale.

L'empilage est achevé : la provenance de votre argent ne peut éveiller le doute que pour un oeil averti, ce qui est plutôt rare. Voici donc le moment tant attendu : dépenser cet argent partout où vous le souhaitez dans l'économie légale, A vous le luxe, les investissements immobiliers, les villas, les soirées parisiennes ! Et surtout, riez de bon coeur en constatant l'inaction citoyenne et la justice désarmée. Mais si nous étions plus nombreux à ne plus accepter cette situation d'opacité et d'impunité...

VI - A propos du secret professionnel

La plupart des techniques exposées précédemment nécessitent le soutien ou le conseil actif d'intermédiaires financiers, de banquiers, d'assureurs ou de notaires. Même S'ils sont la plupart du temps tenus au secret professionnel, la législation les encourage à dénoncer toute opération suspecte. Autant préciser que ceci est rare. Sans compter que, même s'il est sincère, le notaire peut subir des pressions : si une enquête est menée, le brigand sait d'où viendra la fuite.

VII - La lutte contre le blanchiment d'argent

Voici trois organismes luttant officiellement contre le blanchiment d'argent

- Le GAFI (Groupe d'Action Financière contre le Blanchiment de capitaux) rassemble des experts juridiques et financiers de 31 pays membres, dont la France, le Canada, les USA, le Japon, mais aussi le Luxembourg, la Suisse, Singapour... Cet organisme effectue des études sur les tendances des techniques de blanchiment et sur les contre-mesures correspondantes. Depuis 1990, le GAFI a rédigé 40 recommandations constituant un plan d'action complet pour lutter contre le blanchiment de capitaux. Cependant, la motivation des pays membres pour appliquer ces mesures reste très fortement limitée. Même si les études du GAFI sont particulièrement précises, nous trouvons cette structure plutôt consensuelle et sans réel pouvoir.

- La commission parlementaire française menée par Arnaud Montebourg et Vincent Peillon. Nous avons déjà présenté leurs travaux plus haut. A noter que cette commission a été désavouée par l'actuel gouvernement. Les enquêtes de la commission sont certainement jugées trop radicales

- TRACFIN est un service administratif rattaché au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie française. Crée en 1990, il reçoit et traite les déclarations de soupçon des acteurs économiques potentiellement exposés aux circuits financiers clandestins et au blanchiment de l'argent : des organismes financiers (banques, établissements financiers publics, bureaux de change manuel sociétés d'assurance, courtiers d'assurance et de réassurance, entreprises d'investissement et mutuelles) et certaines professions non financières (notaires et agents immobiliers, responsables de casinos, commissaires-priseurs et marchands de biens de grande voleur, experts-comptables, commissaires aux comptes et avocats). TRACFIN comprend une trentaine d'enquêteurs et analystes financiers pour toute la France... En 2002, TRACFIN a recueilli près de 6 900 déclarations de soupçon (contre 3600 en 2001). Le secteur bancaire occupe le premier rang des déclarations de soupçon (environ 80 %). Rapporté à leur champ d'intervention financière, le niveau des bureaux de change et des notaires s'avère acceptable (respectivement 10% et 2%). En revanche, la participation des compagnies d'assurance et des entreprises d'investissement semble inférieure à leur potentiel (5% et 1%). A l'issue du traitement de l'ensemble de ces déclarations, TRACFIN a porté près de 300 dossiers en justice en 2001. Ces affaires, mettant en jeu un montant cumulé d'environ 1,27 milliard d'euros portent davantage sur le blanchiment présumé d'activités criminelles organisées que sur celui du trafic de stupéfiants. L'action et les moyens de TRACFIN restent faibles comparé au volume de blanchiment français.


Selon le célèbre adage « /à où il y a une volonté, il y a un chemin ». Nous pensons que si les acteurs dominants de la politique ou de l'économie souhaitaient réellement lutter contre le blanchiment, ils le pourraient. Le blanchiment ne pourrait en effet avoir lieu si des règles de transparence et de contrôle étaient imposées. Or transparence, régulation et contrôle ne sont pas les valeurs propagées par l'économie internationale. Malgré les initiatives présentées précédemment, une réelle volonté n'est pas à l'œuvre dans ce domaine.

 

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